sexta-feira, 19 de março de 2010

Traduções






"(...) Contre la conception d'une humanité condamnée à ânonner l'alphabet divin, ou- ce qui revient au même- à la fonction d'émetteur/récepteur, Benjamin et Hamann fondent la possibilité d'écouter, de parler, la possibilité d'une authentique expérience de la langue dans sa médiacité même, dans ce que Benjamin apelle son langage.
'La première apparition et la première jouissance de la nature se rencontrent en cette parole: Que la lumière soit! C'est ainsi que commence la sensation de la présence des choses'. La puissance théorique de Hamann est sans doute d'avoir su dissocier l'essence de la révelation de son immédiaticité. S'il affirme la coïncidence dans la parole divine de sa manifestation et de sa présence, il en conditionne l'accès simultanément à la foi humaine et à l'engagement divin.
'L'inspiration de ce livre est une humiliation et une condescendance divine aussi complète que la création du Père et que l'incarnation du Fils'. Le processus de la révelation n'est pas simple émanation mais véritablement défiguration à quoi Dieu condescend pour se faire connaître. De même le monde ne s'offre à déchiffrer que pour celui qui saura l'appréhender "dans" la parole divine. Ainsi la réceptivité à la révélation n'est plus seulement disponibilité du Verbe divin mais expérience de l'aliénation volontaire de Dieu dans le signe, apprentissage de la distorsion originaire à laquelle Dieu s'efforce pour se manifester, prise de conscience d'un écart, d'un déplacement plus que d'une présence. L'essence de la révélation est traduction dont participe la parole humaine:
'Parler c'est traduire d'une langue angélique en une langue humaine, c'est-à-dire, transposer des pensées en mots, des choses en noms, des images en signes'(Aesthetica in nuce. Le nom que l'homme donne aux choses mesure la distance qui le sépare du Verbe divin, divin peut-être mais parodique, puisqu'il n'est dejà que l'expression dégradée du Souffle premier. Ce mouvement de traduction en cascade, de règne en règne- le divin, l'angélique, l'humain- est un processus sans origine. Et si Hamann ne met pas en cause l'idée qu'il en existerait un garant ultime, il prive néanmoins le langage de réferent ultime, il livre la créature au vertige d'une parole perpétuellement transfuge, s'échevelant à la poursuite de l'innommable, de ce qui est devenu inaudible à force d'être innommable. 'La création est un discours adressé à la créature par la créature; car un jour le dit à l'autre et une nuit l'annonce à l'autre. Son mot passe de climat en climat jusqu'au bout du monde, et dans chaque dialect on entend sa voix. Mais la faute peut en être où l'on voudra ( en nous ou en dehors de nous): nous n'avons plus rien d'autre à notre disposition dans la nature que des vers mêlés, que les disjecti membra poetae'.

Chez Benjamin comme chez Hamann il y aurait donc le même vertige devant l'absence de tout réferent ( réel ou symbolique), le même funambulisme d'une écriture qui doit produire elle-même sa propre condition de possibilité, a savoir ce médium, cette communicabilité que faute de pouvoir supposer elle projette en avant d'elle, dans l'incessant processus de transfert où chaque mot traduit celui qui le précède, dans l'interminable mouvement d'auto-traduction qui entraîne l'écriture, qui la tire en avant, qui en fait ce trafic qu'elle est. (...) Il ne faut pas cesser de traduire, au même titre exactement que la nature ne cesse pas d'inventer de nouvelles formes, parce qu'aucun fond, aucune origine ne nous précède et que la vie ne peut s'inventer que par anticipation, en se devançant elle-même, dans une progression en perpétuel déséquilibre, dans une tension qui lui tient lieu de fondement. ( grifo meu). C'est de même, par une sorte d'horreur motrice devant la pétrification instante du sens, devant le visage que tourne alors vers lui la langue, devant cette inexpressivité soudain des mots en lui que Benjamin écrit pour traduire la langue même, pour préserver en elle cette communicabilité qui est sa vie. A travers le glissement du motif de la communicabilité à celui de la traductibilité, il s'avère que cette "réalité dernière, inexplicable, mystique", que Benjamin apelle langage ou médium n'est pas l'origine inaccessible d'une langue perdu mais l'objet d'une construction incessante, l'oeuvre en cours elle-même. Langage, ce lieu qui n'est jamais donné mais toujours à construire comme la condition de toute communauté, de toute communication, de toute traduction aussi bien."

Catherine Perret


http://plato.stanford.edu/entries/hamann/

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